Après trois semaines sur la route des migrants, de Zagreb à la frontière Grecque, à travers sept camps différents, voici une tentative de montrer quelques bribes de cette route des Balkans, de mettre quelques visages sur les « masses ». D’ailleurs à première vu c’est bien de cela dont il s’agit. En entrant dans une tente de transit ou en observant les files de distributions, il y a cette sensation de masse. Il faut oser mettre un pied, croiser un regard… un sourire, et cette masse devient un visage ; prendre un peu de temps, s’assoir, et ce visage devient une histoire, une famille, une route. Et ce qu’ils ont à partager est énorme, de l’ampleur des drames vécus à la taille des fou-rires.
Le temps passé sur cette route varie, mais il leur faut invariablement s’embarquer sur ce foutu bateau, parfois deux, trois fois avant de parvenir à traverser. Beaucoup en cauchemardent encore la nuit. Ensuite la route alterne interminablement entre attente et précipitation. De camps en motels reconvertis, de fausses rumeurs en bousculades, de nuits dans le froid aux heures à simplement… attendre, suspendus à une décision européenne, à essayer de se renseigner sur ce qui vient après. Certains n’ont pas fermé l’œil depuis plusieurs jours et plus aucun n’ose rêver d’une douche.
Beaucoup de visages et d’histoires, des rencontres incroyables. Ce garçon de 16 ans qui a vécu seul trois années en Turquie avant de prendre la route. Cette jeune femme déguisée un adolescent, qui a combattu trois ans dans l’armée libre, avant de devoir fuir sa ville prise par Daesh. Cette femme enceinte de huit mois, dont le mari est coincé au Liban (pour aller en Turquie il lui faut désormais un visa et en Syrie il serait réquisitionné). Cet afghan de 17 ans (mais chut) qui voyage sous la protection d’une famille syrienne. Les récits de passage de l’Afghanistan à l’Iran, parmi les pires… Ceux qui ont tout perdu en tentant de prendre une autre route en Europe, roulés par des trafiquants, détenus, battus. Ce couple qui a perdu ses trois enfants dans la mer Egée… Cet irakien qui a rallié Idomeni-Belgrade à pied. Ceux qui ont traversé la frontière syro-turque en avançant malgré les balles que la « gendarma » turque leur tirait dans les pieds pour les faire reculer. Les récits de famine à Deir Ezzor… Toutes ces histoires ont été entendues en face à face, dans le froid, dans l’attente, sans fioritures, souvent à voix basse. Il y a aussi ces jeunes filles d’Alep, riant sans arrêt ; ces enfants pour lesquels c’est l’aventure, quoi qu’il arrive. Resteront aussi le visage de ces deux petits garçons qui visiblement ont perdu les leurs dans la foule mais qui sont poussés en avant par la police, il faut embarquer. Et tant d’autres. Plus de 30% des migrants sont des enfants.