Histoire recueillie en janvier 2016. A sa demande, la ville d’origine de Jouda n’est pas mentionnée.
Sur la « route des Balkans », en Serbie. Nous sommes dans un Motel abandonné où les réfugiés en transit patientent dans le hall et sous des tentes chauffées, mises à disposition. Un jeune garçon de 15 ans, il se présente comme tel, commence à nous raconter son histoire. Au fil de la conversation, il, ou plutôt elle, avoue être une femme. Ce sont ses compagnons de voyage, bienveillants et plutôt fiers, qui la poussent à se dévoiler. Originaire d’une tribu bédouine, elle a combattu trois ans pour l’armée syrienne libre, déjà sous les traits d’un jeune homme. Nous ne connaitrons pas son vrai prénom et l’appellerons Jouda. Elle a quitté la Syrie il y a quatre mois.
Jouda a 5 sœurs et 2 frères. L’un est déjà en Allemagne, une de ses sœurs est au Liban, les autres avec leur mère dans leur ville natale. Son père, boucher, a fui la partie de la ville contrôlée par le régime lorsque Jouda a pris les armes. Il a donc rejoint la partie rebelle, maintenant entre les mains de Daech. Le reste de sa famille vit encore dans le quartier tenu par le gouvernement. Il n’y a aucune possibilité de passer d’un camp à l’autre. Ses parents ne se sont ainsi pas vu depuis plus d’un an. Le régime est ravitaillé par avion. Les civils pris au piège avec eux sont les derniers servis.
Daech a attaqué la ville en juillet 2014. Jouda a alors déposé les armes et a continué sa vie, seule avec son père. Il y a quatre mois, des membres de l’EI l’arrête dans la rue lui reprochant de ne pas porter le Niqab. Ils font quelques recherches sur elle puis la laisse partir. « Là-bas, chez Daech, les grands chefs sont Saoudiens, tandis que les officiers sont les restes de l’armée de Sadam ». Dans les jours qui suivent, en déplacement à Raqqa, elle apprend que Daech est venu chez elle pour l’emmener et ont tout retourné. Ils ont découvert qu’elle avait lutté contre le régime de Bachar. En tant qu’ancienne combattante, elle risque la peine capitale. Sans papier et sans argent, elle décide de partir pour la Turquie. Il n’y a pas d’autre option. Un passeur la fait rentrer illégalement. Six heures de marche, du Nord d’Alep à Killis. « La police Turque nous a tiré dans les pieds pour que nous fassions demi-tour mais on a continué ». En Turquie elle retrouve un cousin qui l’accueille chez lui.
Là, pendant environ trois mois, elle va travailler dans un restaurant tenu par un syrien. Elle retrouve des amis à Urfa. Quand elle comprend qu’il n’y a pas d’espoir de retour dans sa ville natale, elle se laisse convaincre de partir avec eux pour l’Allemagne. « Les turcs nous exploitaient, ça n’était pas tenable ». Sa famille est assiégée. Cela couterait 700 000 SL de les faire sortir. Elle part donc retrouver son frère en Allemagne. Elle rejoint la Grèce en traversant de Shanaqla à Mytilène. Le moteur a cassé au milieu de l’eau. Les gardes côtes grecs sont venus les chercher. Ils les avaient contactés avant de partir. Au moment de la panne, l’équipage a communiqué sa position.
Une fois en Allemagne, Jouda a l’intention de lancer la procédure de réunion familiale. « Mais si j’apprenais que Daech a été chassé de ma ville, je rentrerai maintenant, sans hésiter, même si la guerre continue. »
« Ce qu’il y a de magnifique en Europe, c’est la liberté, la liberté individuelle. Personne ne me causera de problème dans ce domaine. Mais je souhaite toujours pouvoir retourner en Syrie. Je ne vais pas en Allemagne avec une attente particulière. C’est juste que je ne peux pas rentrer chez moi et je ne suis pas respectée en Turquie. Les plus grands risques encourus pendant le voyage sont la mer et les passeurs, mais la solidarité de notre groupe a beaucoup aidé. Je n’aurais pas voyagé sans eux. C’est terriblement risqué pour un mineur non accompagné. Je n’ai pas dormi dans un lit ou une pièce digne de ce nom depuis la Grèce, il y a 5 jours… Mais entre syriens, il y a beaucoup d’aide. Les femmes et les personnes faibles passent d’abord. »