La naissance d’une Communauté
L’ancien monastère syriaque de Saint Moïse l’Abyssin (Deir Mar Moussa el-Habachi) est situé à 80 kilomètres au Nord-Est de Damas, dans les hauteurs de la chaîne montagneuse du Qalamoun. Existant depuis le milieu du VIème siècle, il a été abandonné dans la première moitié du XIXème pour peu à peu tomber en ruine.
En 1984 le père jésuite italien Paolo Dall’Oglio(1) entreprit la restauration du monastère, aidé de l’Eglise locale et de groupes de volontaires syriens et européens. La Communauté mixte et œcuménique, fondée en 1991, réunit aujourd’hui dix membres (quatre moniales, six moines)
originaires du Moyen-Orient et d’Europe, issus des Eglises Catholique et Orthodoxe. “Al-Khalil”, le nom de la Communauté, vient du nom donné par Dieu à Abraham et signifie « l’Ami de Dieu ».
La Communauté s’est construite autour des trois piliers que sont la prière, le travail manuel et l’hospitalité sacrée, pour vivre sa vocation au dialogue interreligieux.
[1] Le père Paolo est détenu en Syrie depuis le 29 juillet 2013. Il s’était rendu à Raqqa pour négocier avec l’Organisation de l’Etat Islamique la libération de familles retenues en otage.
Extraits du livre « Amoureux de l’Islam, croyant en Jésus » Paolo Dall’Oglio avec la collaboration d’Eglantine Gabaix-Hialé, les Editions de l’Atelier, 2009
« Deir Mar Moussa, comme son bâtiment, ne peut être abordé de front, il faut le contourner pour l’atteindre, choisir un angle pour le raconter, ne serait-ce que parce que les rêves y naissent chaque jour. Les projets environnementaux sont aussi importants que la fabrication du fromage, la nouvelle maison d’édition, les constructions ou l’organisation de séminaires interreligieux ».
« Le monastère n’agit pas simplement au niveau local et national. L’hospitalité abrahamique est inscrite dans ses murs. Les visiteurs d’un jour ou de plusieurs semaines, sont de toutes les nationalités, cultures et confessions. L’harmonie se construit aussi par la rencontre de l’Occident avec l’Orient.»
Extrait de la lettre aux amis de Mar Moussa, décembre 2014
« Les amis de Syrie et d’ailleurs nous appellent pour nous exprimer leur amitié, leur préoccupation et pour nous demander des prières. Beaucoup d’entre eux voudraient passer un temps avec nous, mais la difficulté des déplacements les en empêche. À certaines occasions, certains réussissent à venir, mais en général, il n’y a au monastère que les moines et moniales. Notre vie est rythmée de prière, et d’un travail manuel joyeux. Nous prenons soin de notre formation spirituelle et humaine, au niveau personnel et communautaire. »
Travail manuel
Depuis sa création la Communauté et l’équipe de travailleurs fidèles au monastère n’ont cessé de développer l’édifice, construisant notamment un bâtiment pour les moines, une bibliothèque ainsi qu’un centre dédié aux retraites spirituelles. Cette dimension de travail manuel se retrouve aussi dans les gestes de la vie quotidienne auxquels tous sont conviés.
Extraits du livre « Amoureux de l’Islam, croyant en Jésus »
« Par son mode de vie simple et ascétique, le monastère ne se départ pas du mode de vie local et le fait partager aux visiteurs qui prennent part, souvent avec joie, au travail de la Communauté : cuisine, lessive, ménage, travaux agricoles. Lorsqu’ils restent un peu plus longtemps, ils se chargent de l’accueil des nouveaux arrivants et partagent les temps de prières et les messes. « Beaucoup se sont essayés à vivre à Mar Moussa. Ils restent reconnaissables, par toute la terre, à la citadelle qu’ils portent dans le cœur »[1] . »
Face aux urgences de ces quatre dernières années et aux destructions, le travail de la Communauté et de ses proches collaborateurs a aussi été mis au service des populations en détresse.
Extrait de la lettre aux amis de Mar Moussa, décembre 2014
« Noël est revenu, et l’ombre de la guerre recouvre encore notre pays bien-aimé… Que dire alors de tout ce qu’on a vécu cette année, de nos attentes et espérances ? Les souvenirs du dernier Noël sont de nouveau présents : la célébration avec nos familles de Nebek[2] dans une salle humble au milieu des décombres, qui nous a donné la lumière et la force d’entreprendre le travail dur mais consolant de la reconstruction de beaucoup de maisons. (…)
Dans cette lettre, nous voulons vous parler de notre espérance. Nous avons senti au cœur de la crise que Dieu nous demandait de rester pour être un signe d’espérance. En effet, les proches nous ont confié que notre présence a encouragé certains à ne pas partir. Ceux qui ont décidé ou plutôt ont été obligés de partir restent dans nos pensées : nous les accompagnons dans la prière. Notre insistance à construire et à réparer a provoqué l’étonnement, la curiosité et l’enthousiasme de beaucoup. (…)
Par le biais de la collaboration avec des organisations humanitaires locales, nous avons fait la connaissance de familles musulmanes dans le besoin. Les soutenir est une occasion de vivre notre vocation au dialogue dans le quotidien de la vie sociale. (…) En plus de son service sacerdotal auprès de la communauté, Fr. Jihad a supervisé aussi bien le projet de réparation des maisons endommagées à Nebek que celui de la construction des maisons pour les jeunes couples voulant rester vivre dans la région, ainsi que celui de l’aide aux veuves dans les villes de Nebek et de Yabroud. »
[1] « Mar Moussa : Un monastère, un homme, un désert » de Guyonne de Montjou aux Editions Albin Michel, 2006
[2] Nebek est la ville la plus proche de Deir Mar Moussa, située à une quinzaine de kilomètres.
Vie spirituelle
Extrait de « Mar Moussa, un homme, un monastère, un désert » Guyonne de Montjou, éditions Albin Michel, 2006
« Paolo avait vingt-sept ans lorsque, à Mar Moussa, il vit apparaître les trois priorités de son existence.
La première priorité était l’absolu de la vie spirituelle. Je pouvais accepter de perdre le monastère pour ça. Un monastère en lui-même doit signifier l’absolu de la vie spirituelle. Il le fait d’autant plus efficacement qu’il se trouve au désert, parce que le désert c’est le vide. (…) c’est vraiment le désert qui permet l’espace de la communication divine. »
Extraits du livre « Amoureux de l’Islam, croyant en Jésus » 2009
« 19h : heure de méditation. Le monastère plonge dans un calme absolu. Quelle que soit sa confession, chacun est tenu au silence, ou alors s’éloigne dans la montagne s’il a un besoin irrépressible de parler.
20h : messe. En arabe donc. Avec des traductions de Paolo et Jacques suivant l’assistance. Syriaque catholique, le rite paraitra surprenant aux catholiques latins. On se déchausse avant d’entrer. Comme dans une mosquée ? Oui, mais surtout comme cela a toujours été le cas dans les églises d’Orient, pour préserver les tapis. On s’assoit par terre sur des coussins. Pour le chrétien occidental néophyte, entendre Dieu être appelé Allah, sera toujours une expérience déroutante. Parfois, à la fin de la messe à 21h30, la Communauté entame des invocations qui empruntent aux chants soufis.
En passant la porte de l’église, vous aurez l’étrange sensation d’être entouré et épié de toutes parts. Les murs sont peuplés de personnages aux couleurs vives et chaudes. Ces fresques, parmi les mieux conservées du Moyen-Orient, remontent aux XIème et XIIIème siècles, en trois couches successives. Les dernières restaurations ont permis de lire la datation de la troisième couche : « Achevé dans l’année six cent et quatre (de l’Hégire, 1208 après J.C) par la main du décorateur Serge le fils du prêtre Ali, fils de Barran. Dieu, aie pitié de lui et de tous ceux qui viennent à cet oratoire béni et qu’ils soient guéris. Amen. ».»
Extrait de la lettre aux amis de Mar Moussa, décembre 2013
« Tandis que la guerre continue à faire rage dans notre pays, nous persévérons dans la prière en faisant tout notre possible pour assister les réfugiés et les personnes dans le besoin, matériellement et spirituellement, dans l’espoir qu’un jour nouveau ne tardera pas à pointer, et que nous reviendrons bientôt au rythme normal de notre vocation à la contemplation, à l’hospitalité, au dialogue avec les musulmans en vue d’une pacification profonde, entière et permanente, et d’une vraie réconciliation.”
Hospitalité sacrée et dialogue islamo-chrétien
Jusqu’au printemps 2011, cette hospitalité était vécue à travers l’accueil de pèlerins arrivant aussi bien de l’autre bout du monde que du village voisin, visiteurs curieux ou amis de longue date. De nombreux syriens, chrétiens comme musulmans, venaient passer l’après-midi à pique-niquer dans la plaine au pied du monastère ou découvrir avec intérêt et respect les fresques de l’église, les trésors de la bibliothèque ou encore la beauté du point de vue. Ces visites étaient l’occasion de riches échanges.
Pendant plusieurs années ont été organisés des conférences interreligieuses, réunissant des membres influents de chaque communauté autour de thèmes spécifiques tels que : Expérience spirituelle et développement de la société ; le problème de la reconnaissance de l’autre… Ces conférences ont dû prendre fin dès l’année 2010, interdites par le gouvernement syrien.
Extraits du livre « Amoureux de l’Islam, croyant en Jésus », le père Paolo témoigne
« Je vis ma relation à l’Islam comme une sorte d’appartenance. Mais soyons clair, ma foi chrétienne ne se trouve pas masquée, ou rabaissée, par cette appartenance, elle se veut au contraire orthodoxe, entière et fidèle à sa dynamique propre. Quand je dis que j’appartiens à l’Islam, c’est au point de vue culturel, linguistique et symbolique, je me sens profondément chez moi dans le monde musulman. » (…)
« Nous allons vers une société globale que nous espérons démocratique et capable d’exprimer au mieux les richesses de nos traditions spirituelles. C’est la confiance qui provoque le don du mieux. Je m’adresse autant aux chrétiens qu’aux musulmans et aux autres. Chacun rencontrera l’autre qu’il aura osé espérer. Fais confiance à ton voisin musulman, il sera pour toi source de vie. Imagine une évolution positive pour ton voisin chrétien… tu auras gagné un ami généreux. Essaie de tailler un rôle constructif envers tes compagnons de travail d’une autre tradition religieuse… ils auront un rôle positif envers toi (…) Au lieu de nous demander sans cesse par quelle attitude conservatrice, par quelle guerre religieuse, par quelle réciprocité hargneuse, par quel sentiment de victime persécutée nous restons fidèles aux dieux de nos aïeux, demandons-nous plutôt à quelle évolution généreuse et géniale le Dieu de notre future communion nous convie. »
Extraits du livre « La rage et la lumière, un prêtre dans la révolution syrienne », Paolo Dall’Oglio avec la collaboration d’Eglantine Gabaix-Hialé, 2013
« Il est impossible dès maintenant de prévoir le cours des évènements lors des prochains mois dans cette région sensible, comme de dire quel pourrait être mon rôle. Cela dépend immédiatement des puissances concernées et de la capacité de négociation des différents partis syriens de leurs parrains à l’étranger. La guerre civile est notre naufrage et il va de la qualité de notre prochaine démocratie d’arriver ou non à conserver le pluralisme et l’harmonie syrienne.
Mon attitude peut causer des dangers supplémentaires aux membres de la communauté monastique de Deir Mar Moussa et bien sûr aux infrastructures. Je me suis dissocié de la communauté depuis mon exil afin qu’ils puissent décider d’une façon autonome et libre du rôle à jouer dans la crise syrienne. Je note qu’ils ont choisi d’exprimer une espérance à même de dépasser cette crise, pour ainsi dire par le haut, en témoignant d’une transcendance de l’amitié islamo-chrétienne face à la situation actuelle. J’ai l’impression que les syriens ont bien compris ce message et qu’ils voient dans ce monastère un gage d’avenir cher aux citoyens de bonne volonté, quelles que soit leurs positions politiques. Les membres de la communauté savent que je les aime infiniment et que les mettre en danger ne fait qu’augmenter ma souffrance. »
Deir Mar Elian (Qaryatayn, Syrie)
Le monastère de Saint Elian est situé dans la ville de Qaryatayn (32 000 habitants), dans le désert syrien, à 50 km de Deir Mar Moussa sur la route de Palmyre. Habitée depuis près de 5000 ans, la ville de Qaryatayn apparait dans la Bible[1] sous son ancien nom «Hasr-Aynan», Village des Sources. Abandonné au XVIIIème siècle, le monastère resta cependant un lieu de prières et de dévotions, autant pour les chrétiens que pour les musulmans qui viennent y chercher l’intercession du Saint.
En 2000 Deir Mar Elian a été officiellement confié à la Communauté dont le Père Jacques Mourad, est le co-fondateur. Il en prend la responsabilité tout en étant appelé comme prêtre de la petite paroisse syriaque catholique de Qaryatayn (362 paroissiens).
Depuis le père Jacques, a accompli un magnifique travail tant pour la restauration du site, le développement des activités agricoles que pour le renforcement de liens solides entre les communautés chrétienne et musulmane de la ville.
Au cours de l’hiver 2013-2014, le monastère a été un refuge pour plus de 2500 personnes, venues des villages musulmans de Mhin et Hawwarin. Ils sont restés cinq mois. L’hospitalité crée des liens forts : le Père Jacques est devenu un point de référence pour de nombreux musulmans de la région.
Extrait de la lettre aux amis de Mar Moussa, décembre 2014
« Après le retour des réfugiés dans leurs villages, le Père Jacques, a entrepris de leur rendre visite dans leurs maisons détruites, ce qui lui a permis d’évaluer l’étendue des dommages. Grâce à la générosité de nos bienfaiteurs et aux soutiens locaux, les maisons de 51 familles sans aucun revenu ont pu être réparées. Il en reste bien d’autres à retaper.
En attendant, Deir Mar Elian est devenu un pôle pour les gens démunis ; ils y trouvent de l’aide en termes de denrées alimentaires, de produits d’hygiène, de tarifs de visites médicales et de médicaments. Le monastère aide certaines familles de réfugiés à payer leur loyer à Qaryatayn, et des universitaires de Nebek et de Qaryatayn à financer leurs études. »
Extrait « Mar Moussa, un homme, un monastère, un désert » 2006
Jacques est doux et discret, il est le tout premier disciple : « J’ai rencontré Paolo en juin 1987. J’avais 18 ans et commençais juste mon séminaire au Liban. Conduit à Mar Moussa par un ami, durant les trois premiers jours, aucun mot ne sortit de ma bouche. La rencontre était trop forte. Déjà, d’une certaine manière, solidaire du lieu, je décidai de prolonger mon séjour. Moi qui me préparais à être un simple prêtre de paroisse, je goutais à la vie monastique dont j’ignorais tout. En mai 1989, alors que le monastère était fermé, j’y passais quatre jours, seul. En 1991, je fus le premier à m’installer, avec Paolo. (…) Au fil des années, ma relation avec Paolo a grandi en respect et en amour. Je crois que cela est dû à sa fidélité : en dépit de toutes les épreuves, Paolo n’a jamais transigé. Quoi qu’il arrive, cette aventure doit continuer, puisqu’elle est dans le cœur de Dieu. Avec sa force prophétique, Mar Moussa doit devenir une locomotive du dialogue islamo-chrétien. »
Extraits de deux lettres du père Jacques Mourad[2] envoyées en avril et mai 2015 depuis le monastère de Mar Elian
« Le danger de Daesh, cette secte de terroristes qui donne une image terrible de l’islam, est arrivée dans notre région. Il est bien difficile de décider ce que nous faisons… Quitter les maisons est une décision très difficile. Réaliser que nous sommes abandonnés de tous est terrible, surtout du monde chrétien qui a décidé de prendre une distance afin d’éloigner le danger de son territoire… nous ne signifions rien pour eux.
Si je partage avec toi mes pensées et mes sentiments maintenant ce n’est pas seulement pour exprimer ce que nous vivons en ce moment mais pour que tu saches que notre monde est en train de se vider de sens et de foi… Pourquoi ? Nous n’avons cependant pas peur de la mort. Pour nous la mort est la route pour être proche du Christ.
Je viens d’arriver d’Alep, cette ville qui dort sur la rivière de l’orgueil, qui est au centre du Moyen-Orient. Elle est maintenant comme une femme mangée par le cancer… de la guerre. Tout le monde commence à quitter Alep, surtout les pauvres chrétiens. Pourquoi ? Et ces massacres ne touchent pas seulement les chrétiens mais tout le peuple syrien… Pourquoi ? Notre vocation est bien difficile à réaliser surtout en ces jours où le maître et fondateur de la pensée du dialogue du 21ème siècle a disparu… Cependant, je sens qu’il est fier de tout ce que ses disciples, si on peut utiliser ce terme, continuent d’entreprendre dans son sillon avec foi et courage.
Ces jours-ci, nous vivons le dialogue à travers une souffrance commune… Ensemble. Nous sommes tristes de ce monde d’injustice qui a une part de responsabilité envers les victimes de cette guerre, ce monde de dollars et d’euros au service de ses peuples et de leur sécurité quand le reste du monde peut mourir de faim, de maladie et de la guerre. Il semble que leur seul but est de trouver des régions où faire la guerre et grossir le commerce des armes et des avions. Comment qualifier ces gouvernements qui pourraient arrêter ces massacres mais ne font rien, rien…
Je ne suis pas pessimiste dans ma foi mais face au monde.
La question que nous nous posons est la suivante : avons-nous le droit de vivre ou non ? La réponse est déjà là, car cette guerre est une réponse claire comme la lumière du soleil … Alors, le vrai dialogue que nous vivons aujourd’hui c’est le dialogue de la miséricorde ».
[1]Livre de Nombres et Livre d’Ezéchiel
[2] Le Père Jacques a été enlevé le 21 mai 2015 au Monastère de Deir Mar Elian et la ville de Quaryatyan a été prise par l’Organisation de l’état islamique le 5 août 2015. Il a réussi à s’échapper au bout de 4 mois et 20 jours de captivité.
San Salvatore (Cori, Rome)
Depuis 2002, la Communauté est également installée près de Rome, dans le village de Cori, dans les locaux de l’Eglise San Salvatore, monastère en devenir. Ce quatrième site permet d’accueillir les membres de la Communauté venant étudier à Rome et offre aux nombreux amis de Deir Mar Moussa disséminés à travers l’Europe, la possibilité de temps de partage avec les moines et moniales présents. En juin 2014, 2015 et 2016, des Rencontres européennes des Amis de Mar Moussa y a été organisée. Des journées « portes ouvertes » ont aussi lieu chaque année, la dernière semaine d’août.
Depuis fin 2014 Soeur. Carol enseigne la langue arabe à l’Institut Pontifical d’Études Arabes et d’Islamologie de Rome dans la ligne de cette vocation au dialogue islamo-chrétien.
Témoignage de Sœur Carol, libanaise, entrée dans la Communauté en janvier 2010
“L’expérience de Mar Musa m’a changée et m’a fait passer de l’ignorance à la connaissance et du refus à l’amour de l’autre. Comment ? Simplement à travers la vie quotidienne partagée avec des personnes de toutes les appartenances dans le rythme de prière, du travail manuel et de l’hospitalité, dans le désir de construire l’harmonie islamo-chrétienne et de façon plus générale, l’harmonie entre des personnes de tout horizon.
Avant la guerre actuelle en Syrie, de nombreux invités chrétiens, musulmans et autres partageaient notre vie le temps d’une visite plus ou moins longue, une étape de pèlerinage, une retraite, un discernement. Ils étaient « des moines pour un temps. » A Mar Moussa, seul le premier jour le visiteur reçoit l’hospitalité – dès la deuxième journée il devient l’hôte qui accueille, un membre de la maison.
L’hospitalité est le défi le plus exigeant de notre vocation car il nécessite une ouverture permanente, qui pousse à sortir de soi et faire de la place à l’autre en soi. Dans notre monde multiculturel, le chemin de la paix ne peut se passer de l’hospitalité. Elle est une clé du dialogue, et le dialogue, à son tour, est hospitalité et relation entre personnes différentes, qui restent ce quelles sont, avec leur vérité.
Le vrai dialogue considère l’autre pour ce qu’il est, tout en respectant ses valeurs, prenant soin de lui, reconnaissant qu’il porte lui aussi une perception de la vérité de laquelle je peux apprendre, qui est don pour moi. Il ne s’agit pas de réduire, d’harmoniser ou d’homologuer ma vérité aux goûts de l’autre, ni de ramener l’autre à ma propre perception de la vérité. Nous ne possédons pas la vérité, nous sommes des pèlerins vers la seule Vérité qui nous a tous deux générés, qui nous appelle et se révèle à nous en chemin, dans l’espace relationnel. En un mot, je pourrais dire que Mar Moussa est un laboratoire où la vie quotidienne nous apprend non seulement le vivre ensemble, mais bien plus : la fraternité dans la différence.
Aujourd’hui, le Moyen-Orient vit un drame qui nous concerne tous dans notre humanité. Entre autre, il met en évidence l’échec du vivre ensemble. Cet échec ne date pas d’aujourd’hui et a connu de nombreuses récurrences tout au long de l’histoire, c’est pourquoi nos mémoires communautaires sont profondément blessées. Il y a un travail énorme à faire pour guérir la mémoire. En tant que moines et moniales de Mar Moussa, nous travaillons humblement, à contre-courant et à long terme pour préparer l’avenir. Nous ne nous attendons pas à un résultat immédiat. Celui qui veut aider doit considérer le bien de tous, des victimes d’aujourd’hui comme des bourreaux – les victimes d’aujourd’hui sont parfois les bourreaux du passé et deviennent souvent ceux de demain. Nous essayons de semer pour exprimer aux personnes de toute appartenance notre désir de leur être proches, de prendre soin d’eux, d’aller de l’avant ensemble. Nous espérons que cette semence portera le fruit de la fraternité et pas seulement celui de la coexistence. »
Deir Maryam al-Adhra
(Sulaymanieh, Kurdistan Irakien)
Le Monastère de Maryam el Adhra a été créé dans les locaux de l’ancienne paroisse Sainte Marie, à Sulaymanieh. Le frère Jens Petzold s’y est installé en octobre 2012 avec pour mission d’étendre la vocation de la Communauté de Mar Moussa au Kurdistan irakien. Au cours des trois dernières années, il a peu à peu constitué le réseau du monastère et tissé des liens avec la communauté locale, chrétienne comme musulmane, kurde comme irakienne et étrangère.
En raison des événements qui ont débutés au cours de l’été 2014, les régions d’Erbil et Sulaymanieh ont vu arriver plusieurs vagues de déplacés. Cinquante familles (environ 200 personnes) sont ainsi arrivées au Monastère après avoir fui Qaraqosh, parfois en pleine nuit. Elles ont été réparties entre le bâtiment du monastère lui-même (20 familles) et 6 maisons du quartier généreusement prêtées par les familles chrétiennes locales (30 familles).
La volonté de la Communauté est de permettre à ces familles de disposer d’un espace où ils pourront se sentir en sécurité et prendre le temps d’organiser la prochaine étape.
Au fil des mois la vie s’est organisée à Deir Maryam. Les enfants reçoivent des leçons d’anglais et de kurde au sein du monastère. Dans un second temps ils ont pu commencer à suivre des cours dans une école locale, quatre matinées par semaine. Plusieurs chefs de famille ont pu trouver du travail, même si parfois bien éloigné de leur compétence initiale (vétérinaire, pharmacien…).
Témoignage de Sœur Carol
« En Irak, où nous sommes présents depuis bientôt trois ans, la fermeture des communautés sur elles-mêmes est encore plus grande. Bien sûr, le repli identitaire est une réaction de défense légitime pour sauvegarder une identité en danger. En même temps, ça me fait penser à un récent twitte du Pape François : » Mieux vaut une Eglise blessée mais sur la route, qu’une Eglise malade parce que fermée sur elle-même ». »